vendredi 18 mars 2005

trois quarts des eaux en France seront de mauvaise qualité en 2015

Figaro : Les trois quarts des eaux en France seront de mauvaise qualité en 2015

ENVIRONNEMENT Un rapport du Muséum met en garde sur les polluants émergents, chimiques et microbiologiques
Le professeur Jean-Claude Lefeuvre, du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), a rendu publique hier une étude sur la qualité de l'eau en France. Ce travail est notamment le résultat d'une enquête d'un an auprès de cinq des six Agences de l'eau françaises. Il remet en perspective le bilan officiel déjà très sombre sur la qualité de l'eau dressé fin 2004 par les Agences de l'eau et les Diren sur l'ensemble du territoire, principalement basé sur le couple nitrates-pesticides. Selon ce bilan, 50 à 75% des masses d'eau superficielles et souterraines de notre pays sont aujourd'hui fortement dégradées et n'atteindront pas la qualité requise par la directive cadre sur l'eau (DCE) à échéance 2015. Le rapport insiste sur des «polluants émergents» encore négligés dans les mesures officielles. Isabelle Brisson [07 juin 2005]
Dans l'hypothèse la plus optimiste retenue par Jean-Claude Lefeuvre dans son rapport, à peine la moitié des masses d'eau pourront atteindre le «bon état» écologique requis en 2015 si aucune mesure complémentaire par rapport à celles prévues dans la législation n'est prise. Et dans l'hypothèse la plus pessimiste, ce sera seulement un quart de ces masses d'eau. Un autre quart a été classé à risque, 23% relèvent de la catégorie «doute» et 27% ont été jugées tellement modifiées qu'elles ne pourront jamais atteindre l'objectif de bon état écologique. Un exemple : en Artois-Picardie, 100% des masses d'eau souterraine, utilisées entre autres pour l'alimentation en eau potable, sont classées à risque.
A ce tableau déjà sombre Jean-Claude Lefeuvre ajoute : «Le bilan officiel est loin de refléter la réalité. Il ne tient pas compte de nombreux polluants émergents et des polluants d'origine microbiologique relevés dans les eaux.» En dehors des éléments habituels utilisés dans l'évaluation tels les nitrates et les pesticides, bien d'autres éléments devraient être pris en considération. C'est le cas de micropolluants venant de 3 000 produits pharmaceutiques utilisés dans l'Union européenne. Ces éléments se retrouvent dans les eaux usées par le biais des urines et des effluents hospitaliers ou agricoles (produits vétérinaires).
Par ailleurs, la présence d'antibiotiques dans les eaux favorise une progression de la résistance bactérienne. C'est le cas des salmonelles, qui ont évolué ces dernières années. Les phtalates, qui aident à donner de la souplesse aux polychlorures de vinyle (PVC) et qui sont utilisés en parfumerie, polluent également. Comme les retardateurs de flamme bromés, employés dans les équipements électriques et électroniques, ils peuvent s'accumuler dans les poissons et se révéler en quantité importante dans les produits alimentaires. Ces substances perturbent notamment le développement et la reproduction des petits crustacés. Enfin, les dioxines provenant du processus de combustion persistent longtemps dans l'environnement (plus de dix ans) et constituent, selon la concentration, une menace pour les animaux et les hommes.
Sur le plan technique, les mesures prises pour lutter contre la pollution ne s'attaquent pas à l'origine du mal. En France, on oublie la prévention qui passe par la remise en cause de l'utilisation des sols et la réhabilitation des talus boisés qui peuvent aider à minimiser les effets de la pollution. Installés en bas de pente, ils peuvent absorber jusqu'à 75% des nitrates. Veiller au maintien des prairies et des zones humides, n'accepter la commercialisation que des substances chimiques dont l'effet est connu ou maîtrisé et améliorer le suivi des microtoxines et des micropolluants dans l'eau devient une nécessité.
Le manque de prévention a des conséquences économiques importantes. A titre d'exemple, les huîtres du bassin d'Arcachon, régulièrement interdites à la vente à cause de la prolifération d'algues toxiques, elle-même liée à la qualité de l'eau des rivières, menacent de faillite certains ostréiculteurs.
Interrogée sur les conclusions du rapport, l'Agence de l'eau Seine-Normandie n'a pas souhaité réagir. En matière d'eau potable, des normes de précaution sont appliquées, rappelle-t-on à l'agence basée à Honfleur. Elles sont de 0,1 microgramme par litre pour les pesticides, soit deux fois moins que le taux autorisé par l'Organisation mondiale de la santé.
La directive cadre sur l'eau requiert la consultation du public depuis mai 2005. «Une chance historique pour le public de réclamer un bon état écologique et chimique de l'eau, analyse Jean-Claude Lefeuvre, défenseur de l'environnement de longue date. Une meilleure connaissance de la situation permettrait de sensibiliser les pollueurs et de faire prendre au public la mesure des enjeux pour la gestion de l'eau.»

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